La cidrerie se trouve au cœur d’un clos-masure.
Mais qu’est ce donc ?
Il s’agit d’un corps de ferme, spécifique au Pays de Caux (plateau calcaire situé entre la Seine et la mer en Seine-Maritime).
Il présente des caractéristiques facilement reconnaissables et uniques en France :
Les vergers sont omniprésents dans le paysage cauchois au XIXème et début du XXème siècle. Très utiles durant les deux guerres mondiales, les agriculteurs vendant leurs alcools à l’Etat pour la fabrication d'explosifs, les vergers se font de plus en plus rares après 1945. De plus, des lois votées dans les années 1950, dans le cadre d’un plan contre l’alcoolisme, restreignent la plantation de vergers et ont encouragé par des subventions l’arrachage de ceux-ci. Aujourd’hui, on compte environ 300000 pommiers dans le Pays de Caux.
Les clos-masures de la campagne cauchoise, cachés derrière leurs arbres, ne sont pas ainsi installés pour le charme du paysage. On pourrait croire que ce mode d’habitation correspond au caractère de méfiance propre au paysan cauchois. Peut-être… mais à l’évidence il s’agissait, il s’agit surtout de se protéger du vent d’ouest, ce vent marin qui souffle quelquefois en rafales. Les anciens le savaient, eux, qui ont planté partout dans la campagne normande quand il le fallait, où il le fallait, pour se protéger du vent, mais aussi pour garantir le bon drainage des eaux de ruissellement, pour abriter les bâtiments du corps de ferme. Et ce n’était par souci d’esthétisme. Les paysans cauchois sont gens pragmatiques. Ils ont planté pour nous, pour leur descendance. Car pour voir un chêne ou un hêtre adulte il faut attendre une bonne cinquantaine d’années, si ce n’est plus. Et nous, que faisons nous ? Nous arrachons, nous coupons parce que la route s’élargit, parce que cela gêne les lignes EDF, parce que l’on a besoin d’argent, et parce que l’on ignore toute la richesse de ces plantations.. Alors on vend ces arbres fiers, comme on se débarrasse d’une vieille vache laitière. Et depuis que la tronçonneuse existe il n’y a pas de limite.
Le clos-masure, ensemble rural de ferme caractéristique du Pays de Caux, qu’est-ce que c’est ? Guy de Maupassant qui connaissait la région comme sa poche l’a souvent évoqué dans ses récits : « La ferme est vaste, un vieux bâtiment dans une cour à pommiers, entourée de quatre rangées de hêtres qui bataillent toute l’année contre vent et mer. » Le clos-masure comprend une ferme, située dans une grande cour généralement plantée de pommiers, entouré de talus appelés « fossés » dans la région, surmontés d’arbres de haut jet. Maison et dépendances agricoles, granges, étables, etc.. sont dispersés dans cet enclos pour éviter tout risque de propagation d’incendie et pour faciliter la surveillance. Obligatoire est la mare où vient s’abreu- ver le bétail et où barbotent quelques canards. Quelques mots sur le bâti de la maison du propriétaire. Elle est généralement orientée contre le talus nord de la cour de ferme. Ceci pour bénéficier au maximum de l’effet brise-vent. Pour les plus anciennes on peut encore en voir à colombages avec poutres apparentes et toit de chaume. Pour les plus récentes, on a utilisé des matériaux de la région, pierres et silex, puis en briques avec quelquefois un appareillage ornemental.
Jadis, les talus étaient quelque fois plantés de chênes. Aujourd’hui ils sont garnis de hêtres qui forment des barrages de défense contre le vent. Mais ces barrages ne doivent pas être complètement opaques. Sinon il se produit des turbulences en arrière du rideau d’arbres. Ces arbres sont associés à des arbustes qui garnissent les vides entre les troncs. En résumé il existe trois sortes de modèles : les arbres de haut jet ; en ce cas il convient de préférer les feuillus comme les chênes, les hêtres, des arbres qui peuvent atteindre jusqu’à 20 mètres de hauteur. Pour le petit brise-vent de hauteur moyenne on emploiera notamment le charme, le noyer, l’aulne… enfin le taillis sera constitué d’arbustes, caducs et persistants. Tout dépend de ce que l’on attend. Mise au point par des agriculteurs avisés, cette méthode de plantation s’est rapidement étendue aux maisons particulières et aux lotissements que les plantations champêtres insèrent dans le paysage et aux ensembles collectifs comme les équipements sportifs. Cela forme des clôtures vivantes, attrayantes, préférables à toutes autres.
Préférables en tous les cas aux clôtures rigides telles que l’on peut observer autour de certaines résidences campagnardes entourées de haies uniformes, sans caractère, comme ces alignements de thuyas qui pompent rapidement toute la substance de la terre, ou ces cupressus qui n’ont rien à faire en Normandie. Sans parler de ces arbres dits « ornementaux » étrangers et bariolés comme le prunus rouge ou le sapin bleu. On ne le dira jamais assez : plantez ! mais plantez normand !
Entre les arbres de haut jet, pour que la protection soit efficace, il convient d’enraciner des espèces qui servent de bourrage. Ce qui oblige l’arbre à s’élever droit dans une croissance uniforme. On retiendra le merisier, le noisetier, le fusain, et aussi l’aulne dont la croissance est spectaculaire, et l’acacia comme haie défensive surtout pour le bétail.
Ce sont ces arbustes que l’on retrouve dans les haies basses qui délimitent un champ, un espace ou le long d’un sentier de randonnée. Ce sont des haies cynégétiques qui ont aussi pour but de protéger la faune sauvage. Les oiseaux, de même que le lièvre, ont besoin de broussailles pour se cacher, pour y nicher, et pour trouver leur subsistance. Ces haies basses font merveilleusement leur office et les chasseurs ont le souci de les entretenir et d’en créer si nécessaire. Sinon, sans ces haies protectrices, plus d’oiseaux et leur chant mélodieux et la campagne serait alors bien triste. Sans parler de la flore, abondante bien que discrète, dans les forêts et dans les champs, depuis la campanule, la digitale, jusqu’au millepertuis commun.
Les clos-masures disparaissent en effet petit à petit sous le coup de la modernisation de l’agriculture et de l’évolution des modes de vie. Ils sont souvent restructurés : talus aplanis, arbres abattus, mares comblées ou perdent leur vocation agricole.
La reconnaissance des clos-masures par l'UNESCO favoriserait la sauvegarde de ce patrimoine fragile et méconnu.
Les clos-masures par leur répétition sur un même territoire forment le paysage unique du pays de Caux, mélange entre l'openfield et le bocage. L'horizon n'est jamais lointain dans cette campagne où des clos-masures sont présents avec une forte densité.
Le clos-masure, structure agricole multiséculaire a résisté à toutes les évolutions du temps et révolutions qu'a pu connaitre la France (Révolution française, industrielle, agricole...) pour arriver jusqu'à nos jour.
Néanmoins depuis la Seconde Guerre Mondiale, l'évolution s'est accélérée pour arriver vers une mutation du paysage.
L'augmentation des réseaux routiers et ferroviaires, l'accroissement de l'urbanisation et notamment de la périurbanisation en périphérie des agglomérations qui “grignote” sur les petites communes rurales mais aussi les sources d'énergie (pylône électrique, éolienne...) ont modifié le paysage.
Certains clos ont été démembrés, divisés en parcelles pour de nouvelles constructions. Des rideaux d'arbres et des “fossés” ont partiellement ou totalement disparu. Les bâtiments qui composent les clos sont soit restructurés ou modifiés pour répondre aux nouvelles normes écologiques et agricoles, soit laissés à l'abandon pour en construire des plus modernes.
Les clos situés dans les hameaux, isolés des villages semblent toutefois être les plus épargnés par l'évolution du temps.
Attesté au 16e siècle, le clos-masure protège les fermes des vents littoraux. De quelques centaines de m² à une dizaine d’hectares, le clos-masure se caractérise par ses talus surmontés d’arbres de haut jet : ces « fossés cauchois » réduisent le ruissellement des eaux de pluie, limitant ainsi l’érosion des sols, ainsi que le vent jusqu’à 70 %, créant un microclimat propice aux cultures et à l’élevage. La succession des clos-masures, souvent à l’origine des villages, « boise » les grandes prairies agricoles et contribue à entretenir la biodiversité du pays de Caux.
Le terme clos-masure est utilisé pour la première fois par des géographes du 18e siècle. Traditionnellement, les Cauchois employaient plutôt le terme de « cour-masure ».
Le pays de Caux compte encore environ 900 clos-masures. Constitutifs de l’identité cauchoise, certains sont menacés par la transformation ou la disparition des exploitations agricoles. En 2013, le Département 76 a lancé une démarche d’inscription des clos-masures sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Il propose aussi des aides financières pour la restauration de leurs bâtiments agricoles et la préservation de leur patrimoine naturel.
Alors, assiste-t-on à une régression du clos-masure et à une inexorable mutation du paysage cauchois ? Il est vrai que la société a évolué et que certains paramètres ont changé, à la campagne comme partout ailleurs. La mécanisation du travail agricole a modifié profondément le comportement des agriculteurs. Un exemple. Pour abriter les énormes engins agricoles, l’enclos des clos-masures ne suffisait plus. Alors on a construit des hangars extérieurs aux talus, tandis que les anciens bâtiments menacent de tomber en ruines La main- d’œuvre est devenue prohibitive. Ainsi ces fameux rideaux d’arbres sur leur talus ne sont plus entretenus. C’est dommageable, d’autant plus que ces hêtres pour la plupart ont atteint un âge avancé. Et celui qui espérait gagner quelque chose en abattant ces arbres pour vendre les bois a vite fait de déchanter. Car pour extraire les souches sur les talus « le profit de la vente de mes bois n’y suffira pas ». nous a confié un fermier. Autre facteur, et non des moindres, qui tend à modifier le paysage cauchois et qui nuit à sa valeur patrimoniale : la pression foncière qui favorise le développement de l’habitat en dehors des agglomérations et qui voit pousser des lotissements pavillonnaires.
Ce qui n’empêche pas qu’il convient de planter des arbres et des brise-vent et qu’il faut s’efforcer de garder ces clos-masures dans leur intégralité ou du moins de les adapter à notre vie moderne. Quelques signes encourageants sont à noter : la CAUE a enregistré en 2008 la plantation de 40 km de brise-vent en Seine Maritime. Ce qui prouve que bien des gens ont conscience du problème. Car le leitmotiv est toujours d’actualité : Plantez ! Mais plantez donc normand !